Aller au contenu

Page:Bouchard - Les Chasseurs de noix, 1922.djvu/250

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 250 —

autour d’autres feux qu’ils avaient allumés ici et là dans la forêt. Le prisonnier, les yeux fixés sur ce qui restait de flamme devant lui, songeait.

À quoi songeait Roger ?… Sa pensée se reportait-elle sur sa famille : son père, sa mère, ses frères et sœurs, dans la petite maison de Beaupré où il avait passé une enfance si heureuse ?… Pensait-il plutôt à maître Boire et à son auberge, ou à ses autres connaissances de Lachine, qu’il n’avait quittés que depuis quelques semaines ?… Ou bien comparait-il ces sauvages avec ceux en compagnie desquels il avait passé un hiver dans le haut du Saint-Maurice ?…

Ne se demandait-il pas plutôt ce qu’il allait advenir du canot chargé du fruit de ses trois mois de labeur, que lui et son malheureux compagnon avaient dû abandonner en l’exposant à la cupidité de leurs bourreaux ?

Aucun de ces sujets n’occupait l’esprit du jeune Canadien. En cet instant suprême, où il voyait la mort s’avancer à grands pas vers lui ; où il croyait déjà voir sa faulx menaçante se balancer au-dessus de sa tête et n’attendre, pour trancher le fil de sa jeune vie, que le moment où ses bourreaux auraient apaisé sur lui, en lui faisant subir les plus cruels tourments, leurs instincts sanguinaires ; en cet instant suprême de sa vie, il était tout surpris lui-même de constater qu’il n’avait qu’une seule pensée.

Depuis trois mois, surtout quand, errant seul dans la forêt, ou bien le soir quand le travail de la journée était fini et que, par exception, Le Suisse ne parlait pas, même pendant son travail, il avait passé bien des heures à caresser cette pensée qui