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Page:Bouchard - Les Chasseurs de noix, 1922.djvu/253

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torpeur physique et morale qui la prédisposait au sommeil. Elle dormait de douze à quinze heures par jour.

D’un autre côté, le malheur qui l’avait frappée à son arrivée dans son village, alors qu’elle se faisait une joie de retrouver son père qui, elle n’en avait pas le moindre doute, devait l’avoir cherchée et pleurée constamment depuis près d’un an qu’elle était partie et qu’elle ne retrouvait que juste à temps pour le voir mourir, l’avait atteinte dans ses fibres les plus intimes, au point que, depuis son retour dans son village, l’on n’eut pu dire qu’elle était tout à fait consciente de son existence. Quand elle dormait, son sommeil était peuplé de rêves et, une fois éveillée, ces songes se continuaient, sans qu’elle eût pu dire lesquels elle avait eus dans son sommeil, lesquels elle avait eus éveillée. Ces songes et ces rêveries se confondaient dans l’esprit, de la jeune Indienne au point de devenir presque des réalités.

D’abord confus et embrouillés, ces rêves revêtirent bientôt des formes plus précises. Ce fut d’abord son père qu’elle vit désolé de l’avoir perdue, la cherchant partout et la demandant à tous les échos, la retrouvant pour la perdre aussitôt et se désoler encore. Puis, plus tard, une autre figure vint se joindre à celle de son père et même, quelques fois, en prendre la place. Plus tard encore, cette figure, d’abord indécise, se précisa et devint la figure dominante de tous les rêves d’Ohquouéouée. Alors elle la reconnut. C’était celle d’un jeune guerrier blanc qui, dans l’imagination de la jeune fille, prenait plutôt la forme et l’aspect d’un demi-dieu que d’un être humain, et dont le souvenir faisait battre son cœur comme elle ne l’avait jamais senti battre auparavant.