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Page:Bouchard - Les Chasseurs de noix, 1922.djvu/254

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À chaque instant, elle croyait sentir sur son épaule la main du jeune Blanc la repoussant et l’envoyant rouler sur la berge de la rivière, comme le matin où Roger l’avait surprise en train de lui dérober son canot. Et ce seul souvenir lui faisait éprouver une sensation de plaisir ineffable.

Ou bien, elle voyait l’objet de son rêve, disons-le, de son amour, assis à l’avant du canot, droit et d’apparence hardie, maniant l’aviron avec une force et une adresse qui faisaient que, à chaque fois qu’il plongeait cet outil dans l’eau, on sentait le canot bondir comme un coursier que l’on éperonne. Ou bien encore, elle le revoyait nageant dans la rivière et fendant l’onde comme s’il eut été dans son élément.

Mais là où le cœur de l’Indienne se sentait submergé dans un flot d’amour et de désir de revoir le jeune Canadien, c’était quand ses rêves le lui montraient immobile au milieu des arbres, la tête inclinée sur sa poitrine, ou assis au bord de la rivière, songeant et semblant regretter son départ.

À la fin, quand, reposée de ses fatigues et réconfortée par la nourriture que les autres femmes du village lui apportaient tous les jours, avec une discrétion que l’on trouverait difficilement dans une société soi-disant civilisée, son corps eut repris sa vigueur juvénile, ses songes se changèrent en froides réflexions. Alors elle vit clair en elle-même : elle comprit qu’elle ne pourrait vivre séparée de celui que, elle en avait l’intime conviction maintenant, elle ne pourrait jamais oublier.

Si son père eût vécu, Ohquouéouée fut probablement restée près de lui ; car son esprit, occupé de ses devoirs filiaux, eut été moins pris par le souve-