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Page:Bouchard - Les Chasseurs de noix, 1922.djvu/277

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Après avoir tiré quelques bouffées d’une légère fumée bleue, à la senteur acre, le chef passa le calumet à Ohquouéouée qui, elle aussi, se mit à aspirer la fumée, qu’elle renvoyait vers le feu.

Pendant tout ce temps, le silence n’était troublé que par le clapotement en sourdine du courant sur les cailloux de la grève, et par le bruissement du vent dans ce qui restait de feuilles aux arbres, le tout scandé à intervalles presque réguliers par l’éclatement des braises dans le feu.

Quand Ohquouéouée eut, un peu plus tard, passé le calumet à un autre guerrier, Oréouaré dit, sans se lever et en se tournant à demi vers la jeune fille :

— Nous ne nous attendions pas à rencontrer notre jeune sœur toute seule dans ce pays éloigné !

Après cette remarque, qui s’adressait bien plus aux guerriers qu’à celle qu’il avait fait mine d’interpeller, le chef fut quelques secondes silencieux ; puis, après avoir fait le tour de ses compagnons, son regard revint se fixer sur celui d’Ohquouéouée, pendant qu’il ajoutait :

Mais peut-être notre sœur n’était-elle pas seule ?… Peut-être était-elle accompagnée des deux Français qui viennent de nous tuer une dizaine de guerriers et d’en blesser autant ?…

Le rusé compère avait tout de suite prévu, en apercevant la jeune fille, qu’un conflit d’autorité allait probablement s’élever entre elle et lui ; et il prenait les devants en la compromettant aux yeux des autres guerriers. Par les deux allusions sournoises qu’il venait de faire, il la mettait aussi dans l’obligation de parler la première, et d’exposer ses projets aussi bien que la raison de sa présence en ce lieu, avant d’avoir