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Page:Bouchard - Les Chasseurs de noix, 1922.djvu/302

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paysage quand il avait remonté la rivière en compagnie de Le Suisse, trois mois plus tôt, tout était maintenant gris et terne. Les arbres avaient perdu leurs feuilles, et ils tendaient vers eux leurs branches nues, comme autant de bras décharnés qui auraient imploré la pitié. La nudité des arbres leur découvrait, sur une grande distance de chaque côté de la rivière, le sol jonché de feuilles jaunies, lesquelles, amollies par les pluies des derniers jours, gisaient éparses, comme des loques abandonnées.

Au lieu des chansons des oiseaux cachés dans la verdure, les deux voyageurs n’entendaient que le lugubre croassement des corneilles, dont le vol pesant traversait, à de courts intervalles, le gris du firmament au-dessus de la rivière.

Le jeune Canadien occupait maintenant l’arrière du canot, pendant qu’Ohquouéouée l’avait remplacé à l’avant. Celle-ci, après que l’exercice de l’aviron l’eut réchauffée, en activant sa circulation, avait presque complètement cessé de tousser. Mais quand vint le soir et que, descendue à terre, elle sentit le froid de la nuit lui glacer les épaules, sa toux reprit avec une violence nouvelle, et elle se mit à grelotter de la fièvre.

La jeune fille passa toute cette nuit assise à côté du feu que Roger entretenait, et en s’en approchant aussi près qu’elle pouvait le faire sans mettre le feu à ses vêtements.

Les deux voyageurs étaient campés, comme la nuit de leur départ, à la tête d’un rapide ; ce qui voulait dire un nouveau portage pour le lendemain.

Quand, après une autre longue nuit de souffrances, le jour parut enfin et qu’il fut l’heure de se