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Page:Bouchard - Les Chasseurs de noix, 1922.djvu/315

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« Était-il donc destiné à toujours perdre ceux qu’il aimait ?… Était-ce lui qui leur portait malheur ?… »

Roger ne s’endormit que fort tard dans la nuit, le cœur noyé dans ces sombres pensées.

Le lendemain, qui était un samedi, dans l’après-midi, Roger s’apprêtait à sortir de la maison du marchand où il demeurait, quand on vint le prévenir de bien vouloir, sans retard, se rendre à l’Hôtel-Dieu. Assailli par les plus sombres pressentiments, il courut plutôt qu’il ne marcha et, au bout de cinq minutes, il pénétrait dans la salle où était Ohquouéouée.

En s’approchant du lit de la malade, le jeune homme fut douloureusement frappé du changement qui s’était opéré, depuis la veille, dans l’apparence d’Ohquouéouée. Ses yeux étaient enfoncés dans leur orbite, au point qu’on eût dit que ceux-ci s’étaient vidés. Ses narines pincées donnaient à son nez, naturellement aquilin, plutôt l’apparence d’un bec d’aigle que d’un nez humain ; et ses lèvres, tirées sur les dents, plissaient sa bouche en un rictus qui faisait mal à voir.

Roger, les traits gonflés et prêt à éclater en sanglots, s’avança doucement et s’assit à sa place accoutumée, près de la tête du lit. Puis, retenant son souffle, sans cependant qu’il sût pourquoi, il se mit à considérer Ohquouéouée, pendant qu’il sentait son cœur se fondre de douleur.

Tout à coup, la mourante fit un léger mouvement. Ses paupières se relevèrent lentement, pendant que ses mains remuaient faiblement, essayant de se soulever. Le jeune homme, devinant son désir, avança sa main et l’appuya sur le front de la moribonde. Alors, lentement, comme elles s’étaient relevées, ses pau-