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Page:Bouchard - Les Chasseurs de noix, 1922.djvu/319

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Il commençait à neiger. Semblables à du duvet que des cygnes auraient perdu, de légers flocons, transportés sur l’aile d’une brise capricieuse, descendaient mollement et en tourbillonnant jusqu’à quelques pouces du sol ; et là, comme s’ils eussent craint de toucher à cette terre fraîchement remuée, ils remontaient brusquement à de grandes hauteurs et se remettaient à tourbillonner en descendant, jusqu’à ce qu’enfin ils s’accrochassent aux branches de quelque sapin, pour y rester suspendus, comme si ce sapin eut tout à coup fleuri.

Immobile, Roger songeait toujours : il revoyait la jeune Indienne, assise sur la berge de la rivière du Loup, lui racontant sa jeunesse, sa captivité, et l’implorant pour qu’il lui aidât à traverser la Grande-Rivière de Canada, le plus formidable des obstacles qui s’opposât à son retour dans le pays de ses pères. Il la revoyait, un peu plus tard sur le bord de la source Saint-Léon, le regardant de ses grands yeux sombres et profonds, remplis d’admiration et, il le voyait bien maintenant, d’amour naissant, pendant qu’à son tour il lui racontait son enfance, sa randonnée avec les Algonquins, et qu’il lui parlait du voyage que, en compagnie de Le Suisse, il était sur le point d’entreprendre.

Puis il lui semblait la voir, sur le bord de la rivière Saint-François, s’éloigner rapidement à travers les arbres et disparaître, cachée par le feuillage sombre. À ce souvenir, son esprit se reporta immédiatement à la nuit où, au moment où il croyait sa dernière heure arrivée, il l’avait vue, sans cependant en être sûr, s’enfoncer dans la nuit et disparaître, cachée par les ténèbres épaisses.