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Page:Bouchard - Les Chasseurs de noix, 1922.djvu/34

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Cinq lunes se succédèrent sans amener de changement : la glace emprisonnait toujours les cours d’eau, le pays était toujours enseveli sous la neige et le fils du chef était toujours malade.

Cependant, les jours étaient devenus un peu plus longs que les nuits. Le soleil se mit à fondre les neiges et les glaces, l’on recommença à entendre couler les cours d’eau, les oiseaux revinrent et les feuilles apparurent sur les branches.

Un jour que j’étais assise près de ma cabane, jouissant de la douce chaleur du soleil, l’Homme-qui-parle-aux-Esprits, celui qui avait promis au chef que son fils ne mourrait pas, s’approcha de moi. Je craignais cet homme. Chaque fois que je m’étais trouvée en sa présence, il avait fait peser sur moi des regards qui m’avaient fait frémir. Bien des fois, j’avais fait de longs détours, ou je m’étais tenue cachée de longues heures pour éviter de le rencontrer.

À sa vue, je me levai et voulus me retirer ; mais il me retint du geste, en disant :

« Ohquouéouée, reste ici, je veux te parler. »

Je me retournai vers lui et attendis sans rien dire, baissant les yeux, car je n’osais le regarder.

« Ohquouéouée, », répéta-t-il, « le fils du chef est bien malade ! »

« Oui, » répondis-je, « mais les Esprits disent qu’il va guérir ? »

« Les Esprits, » ricana-t-il, en m’enveloppant d’un regard qui me fit frissonner. « Les Esprits !… Et s’ils se trompent, les Esprits ?… Et si le fils du chef meurt ?… Tu seras à moi, Ohquouéouée ! » ajoutat-il brusquement en plongeant son regard dans le