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Page:Bouchard - Les Chasseurs de noix, 1922.djvu/9

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loin, sur une branche à l’écorce déchiquetée par les glaces hibernales que projette au-dessus de l’eau un orme noueux, un martin-pêcheur repu contemple avec indifférence les brochets et les gougeons qui, dans un remous que les rayons du soleil commencent juste à atteindre, passent et repassent en décrivant toutes sortes de courbes.

Toute cette nature, dans sa tranquillité sublime, semble heureuse d’exister, semble jouir du bonheur d’être vierge ! Car elle est vierge ! Vierge de tous les artifices, de toutes les déceptions, de tous les vices de la civilisation !

Jamais, l’air qui supporte le vol de ces oiseaux n’a été ébranlé par la détonation d’une arme à feu ! Jamais, les poissons qui habitent ces eaux n’ont rencontré, en se précipitant sur leur proie, l’hameçon perfide ! Jamais, ces arbres géants n’ont senti un de leurs compagnons vibrer sous les coups répétés de la hache meurtrière ! Jamais, les paisibles échos de ces immenses forêts n’ont dû répéter les imprécations, ni les blasphèmes de ceux qui se croient civilisés !

Mais, bien que la paix et la tranquillité semblent régner en maîtresses absolues sur tous ces environs, il est visible que cette paix va maintenant être de courte durée ; car, au bord de la rivière, un objet indique que l’homme, le grand destructeur de toute tranquillité, de toute pureté, n’est pas loin.

Immédiatement au-dessous d’une courbe prononcée de la berge, un peu en amont de l’endroit où un martin-pêcheur repose à moitié endormi sur sa branche, dans un remous causé par un arbre renversé dans la rivière et qui avait, en arrêtant brusquement