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Page:Bouchard - Les Chasseurs de noix, 1922.djvu/92

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bres raidis, immobile comme une statue : la statue de l’attention.

Dans cette attitude, il offrait le plus beau spectacle qu’il fût possible à un chasseur de concevoir.

Le soleil n’était pas encore levé, mais le jour était tout à fait venu. À hauteur de la cime des arbres et suivant les sinuosités de la rivière, une brume diaphane s’élevait avec lenteur. Cette légère vapeur, agissant comme un tamis, ne laissait passer qu’une lumière douce et diffuse, lumière qui aurait fait la joie d’un photographe moderne. Dans cette lumière, l’animal s’estompait sur les arbres de l’autre rive qui, étant pour la plupart des conifères, n’avaient pas perdu leur verdeur. Et le pelage gris-brun de l’orignal se dessinait sur le vert foncé des arbres en lignes nettes et précises, qui le faisait paraître de moitié plus rapproché du chasseur qu’il ne l’était réellement.

Il n’y avait pas un souffle de vent et le silence n’était troublé que par le léger bruit que faisaient, en tombant dans la rivière, les quelques gouttes d’eau qui s’échappaient du mufle de l’animal. Bien que ce dernier fût absolument immobile, on croyait voir vibrer ses muscles et on sentait qu’il était à la veille de prendre son élan vers la forêt.

Soudain, une formidable détonation déchire les échos environnants, et va se répercuter au loin dans la forêt. Comme un cheval trop fougueux que son cavalier retient d’une main trop ferme, l’orignal se cabre, se retourne et fait un bond suprême vers la rive. Mais il retombe, mi-partie sur le gravier, mi-partie dans l’eau.