Page:Boucher de Perthes - De la misère.djvu/36

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met certainement plus d’argent en boisson que le rentier qui a dix fois le même revenu. Il y a beaucoup de riches qui ne boivent ni vin ni eau-de vie, tandis qu’il est presqu’impossible de trouver un homme du peuple qui n’en fasse pas usage ; et, dans le nombre, il en est plus d’un, qui, s’il n’a pas d’argent, vendra pour alimenter sa passion, ses meubles, ses couvertures, ses habits, ceux de sa femme. Ah ! combien de fois cette malheureuse mère dans l’anxiété du désespoir, n’a-t-elle pas attendu pour donner du pain à ses enfans, le retour d’un mari ivrogne, qui après avoir dépensé au cabaret le prix de sa journée, ne lui rapporte que des injures et des coups ; trop heureuse si, dans son délire féroce, il ne fait pas couler son sang !

La boisson appauvrit, non-seulement par ce qu’elle coûte, mais par la perte de temps qu’elle entraîne, par l’engourdissement des bras qu’elle énerve, de l’intelligence qu’elle use ; elle obscurcit la raison et abrège la vie. Le meilleur ouvrier cesse de l’être quand il a bu.

En vain l’on a dit que les spiritueux sont nécessaires à l’homme qui travaille, et qu’ils contribuent à entretenir sa force. Non, cette vigueur alcoolique est toujours factice ; et si une petite quantité d’eau-de-vie ne fait que peu ou point de mal, il n’est peut-être pas un cas sur dix où elle puisse faire du bien. Qu’un accident amène la destruction de toutes les distilleries et de toutes les matières qui les alimentent, je suis convaincu qu’il n’y aurait pas cent hommes en France qui mourraient de ce changement dans leurs habitudes, tandis que la vie de plusieurs millions s’en trouverait prolongée.

Si l’on nie ce résultat physique, l’amélioration morale qui suivrait cette suppression des distilleries ne peut être mise en doute ; car aujourd’hui le nombre des débits de liqueurs pourrait presque servir à établir celui des crimes. Il est tel département où les percep-