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nous étions installés côte à côte dans une calèche fort propre et très-bien attelée. Je lui dis mon nom, il me dit le sien, et la connaissance fut faite. Comme je passai avec lui toute cette journée et d’autres encore, je vais dire tout de suite ce que j’en appris.

Son nom est M**, major retraité au service du roi de Hollande. Il est Belge d’origine, homme de haute taille, droit, bien tourné et très-vert, quoiqu’il ne soit plus jeune. Quant à son caractère que j’ai bientôt su apprécier, c’est un de ces types qu’on rencontre peu, et où la bravoure, la naïveté, la franchise, le bon sens, la probité, la distinction naturelle se trouvent réunis comme chose toute simple et sans que l’homme s’en doute.

Soldat dans l’armée française, il a fait presque toutes les campagnes de l’Empire et y est arrivé au grade de chef d’escadrons. Redevenu Belge en 1814, il servait dans un régiment de carabiniers hollandais qui se battit contre les Français à Waterloo. — « Le cœur me saigna, me dit-il, quand j’y reconnus le corps où j’avais été ; mais je combattais pour mon pays, je ne pouvais pas reculer. »

Dans une charge de cuirassiers, il reçut deux blessures graves, l’une au cou, l’autre au bras, et, par un hasard étrange, étant en convalescence à Bruxelles, il y retrouva, blessé lui-même, l’officier français duquel il avait reçu les deux coups de sabre. C’était un souvenir : ils furent bientôt amis.

Il fut guéri le premier, et voulut amener son compagnon chez lui pour y achever sa convalescence ; mais le Français se trouvait bien à l’hôpital et préféra y rester.

Mon major avait eu six duels pendant sa carrière