Page:Boucher de Perthes - Voyage à Aix-Savoie, Turin, Milan, retour par la Suisse.djvu/160

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tagions la douleur du pauvre israélite. Il est probable que la bête la partageait aussi, ou qu’elle s’ennuyait de sa réclusion forcée, car au moment où le malheureux, abîmé dans sa douleur, étendu sur le pont, était tombé dans une prostration complète, nous le vîmes tout-à-coup faire un mouvement, puis se lever comme s’il eût été mû par un ressort. Nous croyions que l’idée de se jeter à l’eau lui était revenue, et je m’approchais pour l’en empêcher ; mais il s’était arrêté subitement, écoutant et regardant autour de lui. Un léger bêlement vint frapper mon oreille ; cette fois, il n’avait rien entendu, mais je lui fis signe en lui montrant la place d’où il partait. Il s’y précipita et trouva son animal. Jacob ne fut pas plus heureux quand il recouvra Benjamin.

Nous sommes à l’entrée du Rhin ; notre vapeur s’arrête pour charger des planches. La circumnavigation des lacs, utile aux peintres à la recherche de points de vue et d’impressions de voyage, ne le serait pas moins aux apprentis négociants faisant un cours de commerce : ils en apprendraient là autant et plus que dans les livres ; et pendant le peu de temps que je circule ainsi, j’ai recueilli assez de connaissances pratiques pour débuter honorablement dans la carrière, si j’avais le goût des spéculations et voulais me faire épicier en gros. Par exemple : j’apprends ici qu’il n’est pas prudent de réunir en un même chargement une partie de planches à un troupeau de bœufs. Ces animaux, fort paisibles jusque là, commencent à lever la tête, puis à renacler, en entendant le bruit de ces planches qu’on remuait et qu’avec grand fracas on entassait sur la rive. L’un d’eux, le plus effrayé, s’élança à l’eau, et tous les autres s’ap-