Page:Boucher de Perthes - Voyage à Aix-Savoie, Turin, Milan, retour par la Suisse.djvu/161

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prêtaient à en faire autant. Alors il fallait voir les grimaces et entendre les cris désespérés de nos enfants d’Abraham. Ici se réveillait dans toute sa force l’instinct pastoral et le sang des patriarches ou rois pasteurs. Ils étaient restés parfaitement insensibles au désespoir de leur confrère, sans doute parce que la chèvre était sa propriété particulière, mais les bœufs étaient le bien de tous : de là leur effroi. Si les bœufs eussent fait le saut, ils les auraient certainement suivi. On suspendit le débarquement des planches en l’ajournant au retour, et l’on parvint à rassurer le troupeau, mais il n’en garda pas moins rancune contre cette marchandise qu’il regarda de travers pendant tout le reste du voyage.

Ici, le paysage est moins vivant. Le ciel est devenu nuageux, cependant le temps n’est pas mauvais.

Colline boisée, belle verdure. Notre bâtiment touche. Nous sommes près de l’entrée du Rhin. Le fleuve fait là un coude assez peu commode. Les rives sont couvertes d’arbres.

Il est écrit que nos bêtes et nos juifs bergers ne cesseront de nous donner du tintouin. Un combat s’engage entre la chèvre et un veau qui veut absolument la téter. La chèvre s’y refuse formellement. Elle serait venue facilement à bout de cet adolescent glouton, mais elle est attachée ; pourtant elle trouve moyen de lui lancer un coup de corne qui manque de l’éborgner. L’animal, simple et bonace, et qui sent peut-être qu’il est dans son tort, se contente de secouer les oreilles ; mais son maître, moins débonnaire, prenant pour lui fait et cause, veut corriger la chèvre dont le propriétaire, se fâchant à son tour, allonge un coup