Page:Boucher de Perthes - Voyage à Aix-Savoie, Turin, Milan, retour par la Suisse.djvu/237

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faisait composer des vers latins lorsque je ne pouvais pas encore les traduire. Il est vrai que dans mes inspirations franco-italiennes je me permettais d’étranges licences ; je me souciais autant de l’orthographe d’une langue que de l’autre, et je faisais de toutes les deux le plus singulier pastiche qu’on pût imaginer : c’était la rhétorique d’Arlequin ; j’en aurais été le créateur, s’il ne l’eût inventée avant moi. Ajoutons que je n’étais pas insensible aux beautés des patois génois, piémontais et savoyard, et que je les introduisais hardiment dans mes babeliques compositions. Chaque personnage y parlait sa langue : comprenait qui pouvait.

Je n’oublierai jamais le jour où, quelques années plus tard, remettant la main sur ces précieuses ébauches, je voulus me donner la fête de les relire. Il y avait de tout : poêmes, comédies, chansons, tragédies, vaudevilles. Mais au lieu d’une fête, ce fut un deuil que je trouvai : tout me parut parfaitement détestable. Je ne concevais pas comment tant de sottises avaient pu entrer dans une tête humaine : j’étais honteux de moi-même. À l’école, on m’avait dit souvent que j’étais une bête, mais je ne croyais pas l’être à ce point. À chaque page que je relisais, je frémissais en songeant qu’on aurait pu découvrir ce fouillis que j’avais d’ailleurs eu la précaution de ne montrer à personne, ne voulant pas déflorer ces chefs-d’œuvre avant d’en avoir complété la série et achevé d’orner le temple dont ils n’étaient que le péristyle. Oui ! avant de les avoir relus, c’est ainsi que je les voyais. Dieu ! que l’homme est prompt à se croire un prodige ! Et que la rime a fait tourner de cervelles ! Où était donc la mienne lorsque