Page:Boucher de Perthes - Voyage à Aix-Savoie, Turin, Milan, retour par la Suisse.djvu/41

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mes bains ; j’en suis quitte à neuf heures, je déjeûne à dix, puis je travaille jusqu’au dîner.

Après dîner, je vais me promener dans le jardin toujours solitaire du Casino, et je cause avec la montagne du Chat que j’ai en face. C’est fort beau, mais on se fatigue bien vite d’une belle vue où l’on n’a devant soi ni la mer avec ses voiles et ses mystères, ni rien qui indique la présence des vivants : or, d’ici la montagne paraît déserte, je n’y aperçois pas une habitation.

M. Turner, le secrétaire d’ambassade, qui reste à Aix pour la santé de sa femme, ne semble pas s’y amuser beaucoup. Chaque matin, après déjeûner, il me dit : « Je vous fais mon compliment, voilà déjà un tiers de la journée de tué. » — En effet, celle d’un Anglais pur-sang, comme l’est celui-ci, doit être longue : il se lève, se rase longuement, déjeûne de même avec du thé, du lait et un peu de viande, va lire la gazette en fumant, ce qui l’occupe trois heures, et vient dîner ; puis va s’asseoir au Casino à côté de sa femme, y reste jusqu’à dix heures et va se coucher. Le lendemain, il recommence. Dans cette vie en apparence si paisible, il trouve pourtant moyen de se tourmenter beaucoup : si son thé n’est pas chaud, si le beurre n’a pas toute sa fraîcheur virginale, si les tartines de pain sont trop minces ou trop épaisses, si on le sert avant l’heure ou si on tarde de quelques minutes, il faut voir sa résignation impatiente : il soupire, il s’étire, il vous regarde d’un air qui dit : suis-je assez malheureux ? ne fait-on pas de moi un véritable martyr ? — D’ailleurs homme de science, homme d’esprit, c’est la bonté même, et sa femme le vaut.

Ce soir, 25, il y a grand bal au salon. La princesse