Page:Boufflers - Journal inédit du second séjour au Sénégal 1786-1787.djvu/120

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sûrement donné et qui doit te donner encore tant de peine et tant de plaisir. Où suis-je ? pourquoi ne vois-je pas tout cela de ces yeux paternels que tu m’as donnés pour tes enfants ? Au lieu de tant de charmantes créatures dont je me verrais entouré chez toi, je ne vois que des nègres, des négresses, des maures, des mulâtres et des coquins plus noirs que tout cela. Je me crois au milieu de l’enfer du Dante ; mon purgatoire commencera lorsque je m’embarquerai et il finira par la rencontre de cette charmante créature, qui se promène entre ces deux fontaines, dont l’une fait oublier tous les maux et l’autre rappelle tous les biens. Je profiterai, à ce que j’espère, de la circonstance un peu mieux que mon auteur et, malgré tout mon respect pour MM. Virgile et Stace, le les prierai de faire un tour de promenade. Hélas, quand en viendrai-je à ce joli chant-là ? Par combien d’épreuves différentes, par combien de flammes, de brasiers, de supplices, il me faudra passer d’ici là ? N’importe, j’y passerai et j’arriverai et je laisserai mes fatigues, ma tristesse, et même ma vieillesse derrière moi, et nous nous verrons et nous nous aimerons et nous nous le dirons et nous nous le prouverons, mieux peut-être que je n’aurais fait dans les plus belles années de ma vie, si elles s’étaient rencontrées avec les tiennes.


Ce 22. — Quelle triste vie, quelle chienne de vie, ma femme ! Je ne sais pas où trouver le courage qu’il faut ; je crois bien avoir à peu près tout ce qu’on peut exiger de ce genre de courage qu’on appelle audace, mais par malheur, j’ai besoin de celui que les anciens appelaient longanimité et ma provision n’était point suffisante. Je pense à cette horrible