Page:Boufflers - Journal inédit du second séjour au Sénégal 1786-1787.djvu/121

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

figure de rhétorique d’un vieux fou, nommé le Révérend Père Pichon, qui voulait peindre l’éternité et qui disait : « Mes frères, représentez-vous une horloge dont le battant à chaque seconde dit : Toujours ; et à l’autre seconde dit : Jamais. » Toujours, Jamais ! Cette idée-là me trouble quelquefois ; quand je pense à toutes les horreurs qui m’entourent, je crois entendre : Toujours ; et quand d’autres idées voudraient égayer mon esprit, j’écoute si je n’entends point le terrible : Jamais. Il faut encore en revenir à notre prophète en robe de chambre et y croire d’autant plus qu’il n’a point encore trompé. Adieu, mon enfant ; je tâcherai d’être moins sombre une autre fois.


Ce 23. — Tout est difficile ici, même de vivre. Imagine que ton pauvre mari, qui trouvait toujours plus qu’il ne lui fallait dans le moindre cabaret, ne trouve pas dans toute l’Afrique de quoi fournir à sa table. Il est vrai que j’ai la manie de nourrir presque toute la colonie, parce qu’il me semble que c’est le moyen ici comme à Thèbes d’être le véritable Amphitryon. Je n’en reviendrai pas plus riche, mais au moins je penserai que je pouvais aisément gagner cinquante mille écus par an, et je serai fier de ma pauvreté ; d’ailleurs, nous savons très bien l’un et l’autre nous contenter de peu et surtout nous contenter l’un de l’autre.


Ce 24. — M. Blanchot doit être arrivé à moins d’avoir été aussi malheureux que moi ; il doit t’avoir vue, il doit t’avoir parlé de tout ceci et peint toutes mes peines et tous mes ennuis. Il est vrai que, lorsqu’il y est exposé, il les ressent peut-être avec plus de viva-