Page:Boufflers - Journal inédit du second séjour au Sénégal 1786-1787.djvu/168

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trop surchargé pour t’en dire davantage ; contente-toi d’être bien aimée.


Ce 19. — Tu n’imagines pas le trouble et la consternation que cette révolution subite fait dans la colonie ; tout le monde vivait chez moi, à présent chacun est très embarrassé d’avoir à vivre chez lui. Je tâcherai encore de pourvoir à cela et je ferai après mon départ comme les princes qui sont servis pendant trois semaines après leur mort. Cela donnera à tout le monde le temps de s’arranger et ne me coûtera que l’emploi de quelques provisions que je n’aurai sûrement pas revendues. Mais à quoi bon tout cela ? Pensons à nos affaires et surtout à la première de toutes. De quel œil me reverras-tu ? m’aimeras-tu toujours comme à mon départ ? n’éprouverai-je pas ce moment de froideur, cette première répulsion, qui a gâté le plaisir de presque toutes mes arrivées ? Non, tu me promets trop d’amour pour que je craigne. Tu dis que tu es changée, que tu es laide, comme si je devais en voir quelque chose, comme si tu n’étais pas toujours dans ma pensée et devant mes yeux au moment où mon cœur t’a choisie pour jamais. Vas, ma fille, sois la même au dedans et je te trouverai toujours la même au dehors. Mais adieu donc. Sais-tu que mes affaires ne s’accommodent point du tout de toi ?


Ce 20. — Mon enfant, je l’ai échappée belle. Je viens de me promener au continent avec trois savants suédois, qui voyagent par curiosité[1] et en

  1. Plus tard, quand les hasards de sa vie aventureuse conduisirent Boufflers au Nord, comme ils l’avaient conduit au Midi, il retrouva à Stralsund un officier d’artillerie suédois