Page:Boufflers - Journal inédit du second séjour au Sénégal 1786-1787.djvu/17

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a sans doute pris en amitié, qui me donne de tes nouvelles, et qui me dit que tout va bien, que tes craintes étaient vaines, que tu es adorée de tes enfants, que tu es chérie de tes amis, que tu es protégée de la Reine, que tu es applaudie du public, et enfin que tu as enchaîné jusqu’à la jalousie de cette cousine importante qui a toujours eu la bêtise de se comparer à toi, et qui ne t’a jamais pardonné qu’il n’y eût pas de comparaison. Je trouve qu’il faut faire avec toi comme avec Voltaire. Il valait mieux jouir de sa supériorité que la lui disputer, et le moindre de ses admirateurs était sûrement plus content que le plus grand de ses rivaux. Pour moi, voilà le parti que je prends : si tu as plus d’esprit que moi, je m’en console en t’écoutant ; si tu as de plus beaux yeux, je m’en dédommage en les regardant. Donne ce conseil à ta cousine. Au reste, elle a trop d’esprit et de mérite pour ne pas revenir de ses petitesses, surtout dans une grande occasion, surtout dans un moment aussi intéressant et aussi propre à renouer une ancienne liaison que la jalousie d’une part, et la distraction de l’autre, ont desserrée pendant longtemps mais jamais rompue. Ne vois-tu point, mon enfant, que je ne suis point à ce qui m’entoure, et que je vis beaucoup plus dans ta maison que dans mon vaisseau ? Quand ceci te parviendra, ton esprit sera sans doute occupé d’autres soins ; les allées et venues, les visites, les courses à Versailles, les marchands, les préparatifs de la noce t’occuperont, et à peine reconnaîtras-tu les personnes que je ne te nomme point. Mais, au milieu de toutes mes réflexions hors de propos, tu verras que ton mari ne te perdait point de vue et qu’il t’aimait, et