Page:Boufflers - Journal inédit du second séjour au Sénégal 1786-1787.djvu/20

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t’embrasser, mais bien assez pour rêver que je t’embrasse.


Ce 29. — Le vent a repris avec assez de force, et nous comptons être dans deux ou trois jours à Madère. J’y resterai deux jours pour en prendre quelque connaissance et pour acheter un peu de vin, tant pour moi que pour mes amis. Je me réjouis d’y voir un certain consul anglais, qui est, je crois, ami de notre amie, et dont on fait des éloges merveilleux. Nous avons pensé avoir hier une rude épreuve. Un de mes soldats de recrue, que je mène au Sénégal, a passé sur le pont à côté du capitaine et de moi, déchaussé des deux jambes, boitant tout bas, avec l’air d’un fol, les yeux égarés et la parole embarrassée, rangeant sur son passage matelots, soldats, pilotes, officiers, et pouvant à peine dire qu’il souffrait. Cependant, comme sa démarche m’avait frappé, je l’ai envoyé à son poste, et j’ai chargé le chirurgien de le visiter. Le chirurgien est revenu avec l’air abattu nous dire en particulier, au capitaine et à moi, que cet homme avait le charbon. « Comment, Monsieur, le charbon, ai-je dit, mais c’est un signe de peste ! — Oui, Monsieur, m’a-t-il répondu. » Mais il est encore indécis si celui-là est pestilentiel ou non ; nous ne le saurons que demain. J’ai fait secrètement de nouvelles informations et j’ai su que le camarade qui alterne avec cet homme pour dormir dans le même hamac se plaignait aussi d’un grand mal aux pieds. Je l’ai fait visiter, mais il n’était que blessé par un ongle rentré ; l’autre a été reconnu pour n’avoir qu’un abcès qui commence à mûrir par l’onguent de la mère ; et nous voilà sauvés du plus cruel embarras et du plus grand danger.