Page:Boufflers - Journal inédit du second séjour au Sénégal 1786-1787.djvu/36

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moins jolie, s’il le faut, mais au moins toujours toi, toujours celle qui ne cesse et qui ne cessera jamais de plaire et d’aimer. C’est une espèce de sacrement qu’elle a reçu avec le baptême et qui lui a imprimé ce que les théologiens appellent un caractère indélébile.


Ce 18. — Ce pauvre Villeneuve me revient toujours à la pensée ; il est parti avant-hier dans une mauvaise pirogue, par une mer très forte, entre des soldats gris et des nègres ivres-morts. Il a pourtant traversé la rade sans accident, mais il n’en est point quitte ; il lui faut passer au travers d’un peuple féroce que tous les habitants d’ici redoutent. J’ai l’esprit rempli d’idées noires, je me fais des reproches, qui, j’espère, ne sont point fondés, mais qui dureront autant que mes inquiétudes. Adieu, mon enfant, je sens que je t’attristerais de ma tristesse ; c’est la seule chose que je veuille garder pour moi ; tout le reste, je ne demande qu’à le mettre en commun. Adieu.


Ce 19. — Je suis au milieu de gens qui ne savent ce qu’ils font. Ne sachant moi-même ce que j’ai à faire, j’ai amené environ soixante-dix hommes avec moi, pour lesquels il n’y a ni maison ni lit. Il faut que tout cela se fasse de rien : les magasins servent de maisons, les peaux de bœufs servent de lits, quelques tentes nouvellement déballées servent de couvertures, et, pour te donner une idée des facilités de ce pays-ci, je fais en ce moment bâtir une forge pour mes forgerons. Ils forgent des outils avec lesquels ils travailleront un jour aux ferrements, pentures, barres, boulons, crochets, verroux, dont nous avons besoin. Les charpentiers et menuisiers