Page:Boufflers - Journal inédit du second séjour au Sénégal 1786-1787.djvu/92

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jamais arrivé. Ils ne manquent plus que de bon pain et de bonne viande ; ils ont de bon vin à la place de mauvaise eau-de-vie et ne boivent plus que de l’eau douce, au lieu qu’autrefois ils n’en buvaient que de saumâtre. Mais ce que je crains, c’est que la petite mine riante de mon hôpital ne leur donne envie d’être malades. Tu vois, ma femme, que je fais de mon mieux pour tout ce qui m’est confié et quand tu me le seras, tu ne dois pas t’attendre à de plus mauvais traitements, à moins que tu ne sois une friponne, car je t’avertis que ma jurisprudence est très rigoureuse et que mon cœur autrefois très bon s’endurcit tous les jours à l’exercice de la justice distributive. Adieu, amour, je te tiens devant mes yeux, je te porte dans mon cœur et mon esprit te contemple intérieurement à chaque instant du jour.


Ce 9. — À peine suis-je arrivé que je songe à repartir et mes coffres ne sont pas débarqués de la Cérès que j’assemble déjà des chevaux et des chameaux pour me rendre par terre au Sénégal ; mais cette fois-ci du moins les bêtes de somme et les gens de pied passeront devant et ne m’arrêteront point, ce qui fera que sans me gêner et sans m’impatienter je ferai la route en deux jours et demi. Je te recommande d’avance le pauvre officier qui m’a constamment suivi dans toutes mes courses par terre et par mer et dont j’ai toujours été parfaitement content. Je lui donnerai un congé pour partir dans un mois avec M. Blanchot et tous les deux seront plus heureux que moi, car ils verront tout ce qu’ils désirent de voir et moi qui désire sûrement plus qu’eux je ne le verrai point ; mais c’est bien assez d’être malheureux, sans encore être jaloux.