Page:Boufflers - Journal inédit du second séjour au Sénégal 1786-1787.djvu/96

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Ce 18. — J’ai fait mes seize lieues, mais je suis arrivé avec la fièvre causée par l’excès de la souffrance et il faut encore continuer demain. Voilà l’impossible. Adieu.


Ce 19. — Me voici au Sénégal, mais dans un état affreux et d’autant pire qu’il y a des égards dont je ne puis me dispenser et que le moindre mouvement est un supplice. Il n’y a que pour t’embrasser que je pourrais faire un pas sans grimace.


Ce 20. — Je ne puis ni m’asseoir, ni me lever, ni me coucher, ni marcher, ni manger, ni dormir ; je suis comme un malheureux frappé de la vengeance céleste, excepté que ces coups-là tombent ordinairement sur la tête. Ces quatre lignes-ci sont les seules que je puisse écrire, malgré toutes mes affaires ; mais celles de mon cœur sont avant celles-ci et celles-là sont avant celles de ma colonie.


Ce 21. — Toujours pire. Mon cœur et ma faiblesse tournent également contre moi ; tantôt j’appelle le chirurgien et après un pansement horriblement douloureux j’arrache tout, et le moment d’après je reviens encore à son art. Le climat d’Afrique n’est point du tout propre aux promptes guérisons, à cause de la putridité de l’air et de la disposition prochaine de tous les corps à la fermentation. Encore s’il ne fallait point se rendre à deux ou trois dîners arrangés depuis huit jours, je patienterais ; mais chaque pas, chaque mouvement, est un coup de poignard et je suis obligé de prendre un ou deux bras pour me soutenir. Tu aurais bien de la peine à reconnaître ton pauvre mari à cette dégaîne-là, d’autant plus que ces quatre jours de souffrance l’ont