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LA SOCIOLOGIE POPULAIRE ET L’HISTOIRE

propriétés ne sont pas divisées, où par « fraternité, amitié et liaison économique », comme disait Guy Coquille, les individus ne semblent former qu’un seul corps : vos idées sur les droits des propriétaires, ou sur les devoirs des époux seraient-elles ce qu’elles sont ? — De nos États occidentaux, administrés et policés, transportez-vous par la pensée au milieu d’une tribu sédentaire de l’Afrique du Nord. Là, plus de gouvernement central, plus de police publique, plus de ministère de la justice. Vos biens et votre vie sont à la merci de tous. Pour les sauver il vous faut demander l’anaïa, la protection d’un grand chef, vous affilier à son çof, à la société de défense mutuelle dont il est la tête. Dès lors, votre fusil damasquiné toujours en main, un poignard recourbé toujours caché sous votre burnous, surveillant tous les mouvements des çofs rivaux, vous vivrez sur un perpétuel qui-vive : une pareille existence ne transformerait-elle pas, avec toutes vos habitudes, l’idée que vous vous faites du droit, de la justice, de l’humanité ? — Supposez encore que vous soyez le citoyen, non d’une grande nation de nos jours, mais d’une petite cité de l’ancienne Grèce : pourrait-on vous demander, sans un anachronisme flagrant, de partager dès lors les manières de penser et d’agir qui sont celles de la politique moderne ?

Ces brefs exemples suffisent à l’indiquer : suivant que les sociétés seront petites ou grandes, anarchiques ou organisées, émiettées ou centralisées, communistes ou individualistes, varieront les habitudes, les sentiments et les pensées des hommes qu’elles tiennent assemblés. Pour démontrer l’efficacité propre aux phénomènes sociaux, ne disons pas seulement, d’une ma-