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QU’EST CE QUE LA SOCIOLOGIE ?

Par où il se sépare nettement de ceux qui admettent, mais à titre provisoire, ou même comme un pis-aller, l’usage de la notion de contingence. Elle ne marque à leurs yeux que l’ignorance des lois où nous laisse une science imparfaite encore. Que celle-ci élargisse progressivement le cercle lumineux qu’elle projette sur l’univers : on verra se rétrécir de plus en plus, jusqu’à s’effarer définitivement, la zone d’ombre d’où surgissent les accidents inopinés. Cournot pense au contraire que même pour un esprit tout-puissant, en possession d’une science complète, les accidents garderaient leur réalité propre. Il serait sans doute capable de les prévoir, alors que dans nombre de cas ils se présentent à nous sous les traits de l’imprévu. Mais cette physionomie tout extérieure ne saurait suffire à caractériser leur vraie nature. Il y faut une définition plus objective ; une rencontre prédite peut n’en rester pas moins une rencontre fortuite.

Pour formuler les signes caractéristiques du fortuit, Cournot se sert de deux notions, dont l’une est d’origine géométrique, et l’autre d’origine biologique : la notion de série linéaire et celle de système organique. On peut représenter par une ligne continue la chaîne de raisons qui explique la production d’un phénomène. Que cette chaîne vienne à être traversée par une autre chaîne, que cette ligne soit coupée par une ligne émanée d’un point différent, le résultat de cette intersection doit être qualifié de hasard : un hasard n’est autre chose que la rencontre de deux séries de causes non solidaires. Mais où prenons-nous le droit de représenter comme composant une même série unilinéaire un certain nombre de propositions ? Il nous suffit que les