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QU’EST CE QUE LA SOCIOLOGIE ?

le hasard la raison ordonnatrice perd ses droits ? et feraient-ils effort pour concentrer en quelque sorte, afin de mieux ; distinguer entre les sciences de la nature et les histoires de l’esprit, toutes les puissances du hasard dans le monde humain ? Nous pouvons prévoir alors que sur ces deux points leur pensée serait corrigée, bien loin d’être soutenue, par la pensée de Cournot. Il universalise la notion de hasard ; et par là même on pourrait dire qu’il en atténue la virulence ; il restreint les conséquences anti-rationalistes que l’on en tire. Pourquoi désespérerions-nous, à cause des rencontres fortuites que nous aurons à constater, d’organiser la science sociale, s’il est vrai que déjà la science de la nature, en s’organisant, a dû compter avec un certain nombre de rencontres du même genre ?

Cournot distingue[1], dans la science de la nature, deux sortes de sciences, les unes reliant en système des vérités éternelles ou des lois permanentes, les autres rattachant les faits actuels à des faits antérieurs, et remontant ainsi jusqu’à des faits originels qu’il leur faut admettre sans explication, faute de connaître les faits antérieurs qui seuls les expliqueraient. Les sciences du premier type seules — telles la physique et la chimie — contemplent la nature. Celles du second type — telles la géologie ou la biologie — décrivent le cosmos. Mais que ce mot de κόσμος : ne nous fasse pas illusion ; les expressions d’ἄπειρον et de γένεσις conviendraient mieux pour qualifier l’objet des sciences que Cournot appelle cosmologiques. Ce qui les caractérise, c’est précisément la prépondérance de la donnée historique ; c’est que

  1. Essai, II, 267 ; Traité, I, 280.