Page:Bouhélier - L’Hiver en méditation, 1896.djvu/144

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tacite aspect, en prévision d’une grandeur immanente.

J’aime des héros quotidiens. — Marie et Ruth ainsi que Booz le riche patriarche des domaines de blé. — J’aime le vieil Eumée, fidèle, ingénu, blanc pasteur, gardien des troupeaux parmi Ithaque. Tityre m’extasie également à cause de son bel air d’indifférence, et je vénère Cincinnatus, guerrier fameux, bon laboureur ! Ces personnes, qui peuplaient des idylles déjà surannées, combien je les préfère aux tumultueux amants et aux aventuriers de nos poèmes. C’est leur simplicité qui les rend sublimes à ce point. Tandis qu’un Pisistrate, Artaxercès, Cyrus, ne tentent la gloire du monde que dans le dessein de se contenter, ces naïfs petits personnages limitent les leurs au plus pauvre des enclos, duquel ils constituent le théâtre de leur vie.

— Accepter, voilà la loi ! — O, les maçons, les laboureurs, bouviers du bourg, comme je vous aime ! Et toi, rude menuisier champêtre de qui les puissantes planches taillées expriment, possèdent, commentent une plus stricte eurythmie que les manuels de Kant, de Platon même !

Dans l’instant que d’obscures souffrances, l’appréhension la plus tragique dissipent la saveur de nos sentiments, ces héros nous dotent de placidité. Leur joie et leur pas, quels gages de repos ! Leur tranquille impudeur purifie nos passions. Leur paix profonde nous équilibre, ils régénèrent nos éloquences et nos desseins. L’humble herbage de luzernes où paissent d’antiques troupeaux, un verger tout brillant du lourd feu des pommes cramoisies, la basse-cour, une auge bleue et creuse construite de jolies roches fraîches, de tels