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L’AFFAIRE SHAKESPEARE.

passe dans le pageant de Peines d’amour. — En outre, dans le poème de Richard Lloyd, les monologues sont précédés d’une description de la figure et des armes de chacun des héros, et une facile comparaison montre que c’est vraisemblablement cette description de Lloyd que les spectateurs du pageant, dans Peines d’amour perdues, tournent en ridicule. Je dis : « vraisemblablement », je ne dis pas : « certainement », comme M. Lefranc, et voici pourquoi. Dans la pièce shakespearienne, Grossetête déclare à sir Nathaniel :

Oh ! Messire, vous avez déprécié Alissandre le Conquérant. On vous effacera pour ce fait des tapisseries.

Or, les neuf preux ont été l’un des sujets les plus communément traités par les dessinateurs de tapisseries, et ils étaient toujours représentés avec leurs attributs traditionnels, tels que les décrivent gravement Richard Lloyd et ironiquement l’auteur de Peines d’amour, en sorte qu’on ne peut être absolument certain que celui-ci se moque des Nine Worthies ; toutefois, si l’on songe aux autres ressemblances entre la pièce et le poème (qu’il serait trop long de détailler ici), il paraît bien vraisemblable qu’il s’en moque, encore un coup[1].

  1. Francois-Victor Hugo dit, dans une note de sa traduction, qu’une « estampe coloriée, du xve siècle, qu’on peut voir à la Bibliothèque nationale, en tête d’un manuscrit du fonds Colbert », représente Alexandre tenant une lance et un écu semblable à celui qui provoque les lazzi de Grossetête. — Les éditeurs anglais citent, pour expliquer le pageant de Peines d’amour, des textes anciens, demeurés manuscrits, que l’auteur de la pièce n’aurait pu connaître que par un hasard étonnant. Ils n’indiquent comme source possible ni le poème de Lloyd, ni les tapisseries.