Page:Boulenger - L'affaire Shakespeare, 1919.djvu/61

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décerner à un autre écrivain qu’il ne connaît pas ; mais, encore un coup, il n’y a pas de renseignements sur sa personne physique ou morale. Seul, Ben Jonson dit quelques mots de son caractère (j’en parlerai plus loin). Et beaucoup de gens se sont étonnés de cela avant M. Lefranc.

Pourtant nous avons d’autre part des documents d’archives sur l’acteur Shakespeare : nous connaissons sa vie, nous savons qu’il était villageois ignorant, histrion, bon manager, usurier ; que cet homme d’argent ne prit jamais le moindre intérêt à la publication que des pirates faisaient de ses pièces à son détriment ; que cet artiste les laissa paraître tronquées, défigurées par des additions considérables et absurdes sans s’émouvoir ; que, dès qu’il le put, il « réalisa le rêve de toute sa vie[1] » en cessant d’écrire et en se retirant dans sa bourgade natale, où il vécut en paysan parvenu, âpre au gain, aimant le piot et son ami l’usurier Dix-pour-Cent ; qu’à sa mort il ne possédait pas un seul livre ; que ses deux filles ne savaient pas écrire, etc. ; et cela nous étonne, et il semble à M. Lefranc que l’œuvre ne concorde pas bien « avec la personnalité ni avec le caractère de Shakespeare tels que les données biographiques permettent de les concevoir ». Vous avez raison : ce passage, sous cette forme, et isolé du contexte, paraît bien contredire ceux que vous avez cités précédemment. Et encore, lorsque, après avoir expliqué que

  1. C’est l’expression d’un « stratfordien » convaincu, M. Jusserand.