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MESSIRE GAUVAIN HONNI

en fut sorti, les chants cessèrent, les encensoirs disparurent, les parfums se dissipèrent, et messire Gauvain sentit que la plaie de son épaule était guérie. Des gens entrèrent, qui le prirent par les bras, les pieds et les épaules et le portèrent dans la cour. Une rosse dont on avait rogné la queue et les oreilles attendait là, si maigre et chétive qu’on n’en aurait pas donné quatre deniers. Messire Gauvain, plus faible qu’un enfant, fut hissé et attaché sur son échine, le visage tourné vers la croupe ; puis une vieille mégère, armée d’une verge, commença de chasser le cheval par les rues, où les artisans se mirent à huer le chevalier et à lui jeter de la fiente, de vieilles savates, de la boue et toutes les ordures qu’ils purent ramasser : il en fut bientôt si couvert qu’on ne lui voyait plus que les yeux et les dents. Enfin, au delà du pont-levis, la vieille le délia et lui montra ses armes et son bon destrier qui l’attendait, et qui hennit, gratta du pied et chauvit des oreilles en le voyant, car il connaissait son maître mieux qu’une femme son baron : si messire Gauvain n’en eût pleuré, le cœur lui en eût crevé !

— Te souvienne du Château aventureux ! lui disait cependant la vieille. Tu fus bien osé de tenter, le cœur aussi souillé de péchés que ton corps l’est à présent d’ordures, la plus haute des aventures, celle que le fils de la reine aux grandes douleurs lui-même n’accomplira pas, puisqu’il