Page:Bouniol - Les rues de Paris, 1.djvu/70

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pérance peignait de si riantes couleurs et déroulait avec d’immenses et ravissantes perspectives. Faibles et ignorants que nous sommes ! Qui de nous n’est porté à envier, comme des mortels fortunés entre tous, les privilégiés du génie et de la gloire, en oubliant trop facilement que, par une loi mystérieuse, qui tient à un dessein profond de la Providence, ils sont presque toujours aussi les prédestinés du malheur. La couronne de lauriers sur leur front s’entrelace à la couronne d’épines. Cette organisation supérieure, mais d’autant plus délicate qui les tire hors de pair, les rend aussi plus vulnérables à la douleur ; ils ressemblent à ces pics élevés dont le sommet tout d’abord attire la foudre. Et puis, comme l’a dit admirablement un poète contemporain, malheureux lui surtout par sa faute, la souffrance, qui fait vibrer en eux les cordes intimes, est d’ordinaire la source la plus féconde d’inspiration :

Rien ne nous rend si grand qu’une grande douleur.
Mais, pour en être atteint, ne crois pas, ô poète,
Que ta voix ici-bas doive rester muette.
Les plus désespérés font les chants les plus beaux,
Et j’en sais d’immortels qui sont de purs sanglots.
.................
Quand ils parlent ainsi d’espérances trompées,
De tristesse et d’oubli, d’amour et de malheur,
Ce n’est pas un concert à dilater le cœur.
Leurs déclamations sont comme des épées ;
Elles tracent dans l’air un cercle éblouissant ;
Mais il y pend toujours une goutte de sang[1].

Son protecteur le plus généreux étant venu à mourir,

  1. A. de Musset : La nuit d’août.