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souvenir d’un peuple dispersé

nation et une effigie du roi de France. Ses longs cheveux noirs, entrelacés avec des plumes rouges et groupés en gerbe désordonnée sur le sommet de la tête, flottaient au gré des vents comme une crinière de bison, jetant sous le soleil des reflets d’un bleu métallique. Il portait à sa ceinture, autour de son tomahawk, six chevelures blondes qui disaient assez que les souvenirs qu’il avait échangés avec les Anglais n’étaient pas des témoignages d’amitié. Un grand manteau de peau de caribou, tanné en jaune-ocre, l’enveloppait depuis la tête jusqu’à mi-jambe, dessinant sous ses plis aplatis sa forte charpente. Des dessins brodés en poil d’orignal teints de différentes couleurs chamarraient tout le fond de ce vêtement : ils figuraient des lézards ou d’autres monstres informes. Une frange en dards de porc-épic courait tout autour, portant à espaces réguliers des osselets, des grelots et des ongles de hibou. Tout cela produisait, en se frôlant, le bruit du serpent-à-sonnette glissant sur le gravier. Les bras, les jambes et le haut de la poitrine étaient nuds ; les pieds portaient le mocassin national.

Depuis que la barque sillonnait la baie des Français, le sauvage s’était tenu blotti sur l’avant, l’oreille au guet et l’œil au qui-vive, se contentant, chaque fois que l’esquif allait tourner un promontoire, de faire un profond signe de tête et d’envoyer en avant ses deux bras d’où pendait son manteau, imitant assez bien la figure d’un goëlan qui va s’envoler. Cette pantomime, accompagnée d’un certain grognement du pays, voulait dire : « Allez ! en avant ! »

Au moment de passer devant le cap Fendu et d’entrer dans la passe étroite qui s’ouvre sur le Bassin des Mines, il éleva de nouveau les bras, mais cette fois ils les tint plus longtemps suspendus ; alors, les rames restèrent immobiles et la barque suivit seule un instant la forte impulsion qu’on lui avait donnée : le silence se fit dans le petit équipage ; on n’entendit que les gouttes qui tombaient des rames et le déchirement de l’onde sur la proue tranchante de l’esquif. Les trois Acadiens sentirent leur poitrine se gonfler et leur cœur battre convulsivement : dressés sur leurs sièges, ils avaient fixé leurs yeux sur l’indien. Celui-ci, de son côté, s’était penché sur la surface de l’eau, et les mains fixées en entonnoir derrière les oreilles, il promenait son regard d’épervier dans les espaces, les plongeant dans toutes les profondeurs de l’horizon, essayant de transpercer de sa prunelle de diamant ces couches d’air vaporeux que le soleil illuminait de tous ses rayons et où se fondaient les rives les plus lointaines ; en même temps il cherchait à saisir tous ces bruits qui circulent sur les ondes assoupies, surtout le soir, entre des rivages élevés ; enfin, après quelque temps de