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souvenir d’un peuple dispersé

manque que le prêtre ; (il est vrai qu’il aurait peu à faire, dans ce cas-ci)…

— M. Landry, je déclare aujourd’hui que je suis catholique.

— J’en suis bien aise, monsieur Quant à mes propriétés, il ne peut pas en être question dans cette affaire ; je ne les possède plus… Votre gouvernement a cru juste de me les enlever, soit : mais je les avais trop bien gagnées pour me sentir aujourd’hui le désir de les racheter avec de l’argent si l’on m’en offrait l’occasion, encore moins avec la volonté, le sang et la vie des miens. Parlez donc à ma fille, qu’elle dispose seule de ce qui lui appartient : je serais fâché qu’elle en sacrifiât quelque chose pour moi ou pour conserver des biens qui ne sont plus à nous. Votre gouvernement a décrété que nous étions tous des traîtres à notre roi, que nous ne pouvions plus être considérés comme des sujets loyaux de Sa Majesté ; cet arrêt est tombé sur moi comme sur mes voisins, mes enfants, tous mes compagnons ; or, je pourrais jurer sur ma conscience et sur la parole de Dieu (si cela m’était permis) qu’aucun de ceux que votre sentence a frappés n’est plus coupable que moi… Ce n’est pas un mariage, monsieur, qui peut absoudre d’un crime d’État, qui peut laver d’une flétrissure de l’autorité souveraine, si l’on juge qu’elle est méritée, et si la sentence est maintenue. Je rougirais de manger le pain que me donnerait ma terre, si ce n’était pas la loi même de mon pays qui m’en rendait la propriété intacte ; je rougirais de rester seul ici… ; avec l’apparence du seul citoyen innocent de Grand-Pré, je me sentirais la conscience du seul coupable, du seul traître ; je rougirais devant mes enfants, devant ma fille… ; et à mon âge, monsieur, on n’apprend pas la honte et on ne l’enseigne pas à sa famille. Je ne suis donc pas libre de rester ici ; que ceux des miens qui veulent profiter de vos bontés demeurent s’ils le désirent, s’ils craignent de m’imposer la responsabilité de leurs misères ; moi, je partirai comme tous les Acadiens ; et comme je crois devoir encore le moment de liberté dont je jouis aujourd’hui à la faveur de ce futur mariage, je ne puis pas en faire usage plus longtemps : on dit déjà, autour de la maison, que je suis à marchander des pardons. Je pars… Vous avez un notaire, monsieur, et vous pouvez avoir des témoins ; ma femme peut donner le consentement pour deux : ça suffit pour ces sortes de mariages… Marie, réponds à présent à M. George ; c’est à toi qu’il s’adresse…

La jeune fille s’était d’abord cachée la figure sur le sein de sa mère, pour entendre l’arrêt qui allait décider de son sort ; mais pendant que les phrases graves de son père tombaient une à une sur elle, comme pour déposer sur son front la responsabilité soit de