leur faire part de ce que nous avons été chargés de leur communiquer ; déclarant qu’aucune excuse ne sera reçue, sous aucun prétexte quelconque, et que toute désobéissance encourt la confiscation des biens, et de tous les meubles à défaut d’immeubles.
« Donné à Grand-Pré, le 2 septembre 1755, la 29ème année du règne de Sa Majesté.[1]
Ce document étrange, les secrets importants qu’il semblait receler, son laconisme, sa forme entortillée, impérative, et la manière extraordinaire que l’on avait adoptée pour le faire parvenir à la connaissance des Acadiens, tout cela fit grande sensation. Le soir même de sa publication, un grand nombre de ceux qui ne savaient pas lire se rendirent chez le notaire LeBlanc, pour le prier de le leur déchiffrer ; et comme le vieillard était le père d’une nombreuse famille et l’oracle ordinaire de Grand-Pré, beaucoup d’autres vinrent lui demander des explications et des conseils. Les Landry se trouvèrent à cette réunion.
On parla fort et dru, pendant que le notaire relisait et méditait la pièce tout bas. Plusieurs affirmaient que c’était une perfidie voilée ; qu’on ne pouvait rien attendre de bon des Anglais, dans de pareilles circonstances. — Pourquoi, disaient d’autres, sur un ton sinistre, pourquoi tant de mystères et de hâte ? pourquoi rassembler nos enfants pour leur parler d’affaires si importantes ?… et puis, cette réunion convoquée le vendredi… à trois heures du soir… le jour des grands malheurs, du sacrifice du calvaire… à l’heure de la mort du Christ ! Ah ! il y a là quelque chose de diabolique ! Il faut s’armer, résister, ou il faut fuir !…
L’agitation était indescriptible ; quand le chef octogénaire se leva ; le silence se fit dans toute la salle. Tout en lui commandait le respect. Il avait vingt enfants dans l’assemblée, et cent cinquante de ses petits-enfants reposaient sous la sauvegarde de l’honnêteté et de l’honneur du gouvernement : il n’avait pas intérêt à se faire illusion, ni à donner de vaines espérances aux autres. Il avait toujours été, par le choix même des habitants, leur juge suprême et unique dans tous leurs petits différents ; et, depuis l’expulsion du curé, c’est autour de lui qu’on venait se ranger, le dimanche et les jours de fête, pour faire quelques prières, chanter des hymnes, entendre quelques enseignements de la sagesse chrétienne. Il
- ↑ C’est la traduction du document historique.