Page:Bourgeois - Manuel historique de politique étrangère, tome 2.djvu/16

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d’autre intérêt, d’autre devoir que leur continuelle extension, eurent désormais un intérêt commun à limiter celle de leurs voisines. Et le respect qu’elles s’imposaient mutuellement devint, à défaut de droit et de justice, une garantie de paix et d’équilibre pour l’Europe entière. Au lendemain du traité de Vienne, les violences tendent à se faire plus rares, parce qu’elles sont plus difficiles et plus dangereuses. La partie est plus vaste, les mises plus fortes, les adversaires plus âpres et plus riches. Ils hésitent à l’engager. La prudence en un mot commande à l’égoïsme, limite les convoitises et inspire aux États et aux nations la crainte d’un bouleversement analogue à celui qui avait marqué le début du siècle.

L’enjeu eût été en effet plus grand qu’avant 1789, et la perte nécessairement proportionnelle. Au dix-huitième siècle, l’empire des mers et des mondes nouveaux semblait n’attirer que le peuple anglais. Pour quelques places en Flandre, en Allemagne ou en Italie, les Espagnols, les Hollandais, les Français même le leur eussent cédé. C’est à peine si bientôt il restera assez de place sur la terre, après la découverte déjà ancienne de deux continents, pour satisfaire le besoin d’expansion des peuples européens. Le développement colossal de l’Angleterre et de la Russie les ont avertis de regarder au delà des frontières qu’ils étaient accoutumés de se disputer. Ils vont devenir attentifs aux phénomènes qui, parmi ceux de notre époque, frapperont le plus la postérité, la colonisation du monde entier par l’Europe, le déplacement de l’histoire sur un axe nouveau, et son extension dans des domaines qui n’auront bientôt plus de limites que les bornes mêmes de la terre. Déjà, lorsque se posait, après la chute de la Pologne, le partage de l’empire ottoman, leur attention avait été éveillée par la condition particulière de cet État européen, asiatique et africain à la fois, dont la capitale était la clef des routes entre l’Europe et deux grands continents. Dans le duel de Napoléon et d’Alexandre, cette question prit une valeur singulière. Et quel changement dans le monde depuis 1789 ! La science,