Page:Bourget - Drames de famille, Plon, 1900.djvu/111

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Par bonheur, tandis qu’Hector s’efforçait d’exprimer, dans une prose et dans des vers systématiquement et laborieusement naïfs, cette poésie du terroir natal qu’il avait eu la folie de quitter, ce terroir travaillait en lui à son insu. La prudence avisée de ses aïeux paysans interpréterait ces étranges expériences. Il en dégageait, par un obscur et irrésistible instinct de conservation, une vue nette des conditions où il lui fallait vivre, et il devinait le plus sûr moyen de s’y accommoder. Il fit, pendant cette cruelle campagne de 1870, sous la tente, puis en Allemagne, où il fut prisonnier, de sérieuses réflexions. Se voyant arrivé, sans aucun résultat, presque au terme de son petit capital, il comprit que son rêve de gloire immédiat était une chimère. Il se jugea comme poète et comme romancier, et, tout en conservant in petto une secrète complaisance pour ses essais de jeunesse, il essaya de reculer la réalisation de son Idéal. Il s’apercevait, à vingt-cinq ans, sans titres, sans protections, sans carrière entreprise. Il se dit qu’il fallait faire deux parts dans sa vie : celle de l’art et celle du métier. Or, métier pour métier, il comprit que la littérature en valait bien un autre, du moment qu’elle était pratiquée avec les vertus de labeur assidu et de ponctualité, qui sont nécessaires dans toutes les professions. Ce fut là le coup de bon sens de son hérédité paysanne. Il se dit qu’un grand journal n’est, après tout, qu’un vaste atelier commercial, et qui suppose une certaine quantité de besogne positive, exécutée régulièrement. Il résolut d’être un