Page:Bourget - Drames de famille, Plon, 1900.djvu/162

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le mas lointain de Provence, avec des êtres qu’elle aimerait réellement. Elle y comprenait la peu fortunée Fanny, vieille enfant du faubourg parisien, qu’elle imaginait heureuse, d’un bonheur un peu comique et tout désorienté, dans ce décor de nature méridionale. Reine souriait à cette fantaisie, comme la Perrette de la fable sourit aux espérances de son pot au lait, si complètement magnétisée par ses visions d’avenir qu’elle n’avait pas entendu entrer son père, qui s’arrêta là, une minute, pour la contempler dans son immobilité songeuse, avant de l’aborder… C’est qu’elle était vraiment une adorable apparition de grâce et de jeunesse, dans cet étroit cabinet de travailleur, aux murs garnis de livres, et qu’une fenêtre, donnant sur une cour intérieure, éclairait, par ce froid matin de janvier, d’une lumière jaunâtre, brumeuse, comme appauvrie. Déjà habillée et coiffée, avec les simples bandeaux de ses cheveux châtains, avec les gants qui protégeaient ses mains et le tablier de soie grise à épaulettes qui protégeait sa robe, elle avait l’air de la plus délicieuse fée ménagère qui ait jamais donné aux menus soins de la vie familiale le charme d’une poésie. A la surprendre, si jolie, si fine, et qui venait de vaquer pour lui à des soins si modestes avec tant d’application silencieuse, comment le père n’eût-il pas pensé de nouveau à la conversation de la veille, où s’était joué tout l’avenir de cette créature exquise ? Et comment de nouveau n’eût-il pas éprouvé sa vive impression de froissement, quand