le cœur, qui ne fit que s’accroître et s’accroître encore, à travers les interminables services d’un succulent festin de province, jusqu’à la minute où l’on déposa devant Mme Réal l’énorme galette dorée, déjà divisée en autant de parts que nous étions de convives… Les domestiques vont, remettant à chacun un mince morceau. Les couteaux et les fourchettes dépiautent gaiement la pâte feuilletée qui exhale sa cordiale odeur de beurre frais et d’épices… Un petit cri de joie éclate à côté de moi. Mon pressentiment se réalisait : Isabelle avait la fève. — « C’est moi la Reine », disait-elle, et, pour une seconde, l’enfant qu’elle était hier reparaissait sous la demoiselle d’aujourd’hui. Elle battait des mains, en répétant : « Je suis la Reine », et aussitôt une voix lui répondit, qui la fit devenir toute grave et toute rouge, celle de son père qui lui criait : — « Tu es Reine. Il faut te choisir un Roi… » Elle regardait autour de la table, comme hésitante, et tous les visages des hommes étaient tendus de son côté, les uns avec malice, les autres avec curiosité. Le visage de M. de Norry se tournait aussi vers elle, avec cette expression de condescendance qu’il devait avoir pour une petite fille. Elle était pour lui ce que j’étais pour elle, l’être qui ne compte pas. Et je percevais cela avec le reste, cette indifférence amusée qui m’irritait davantage encore. Isabelle semblait toujours hésitante. Un instant ses prunelles bleues se fixèrent sur moi. J’eus l’illusion qu’elle allait me choisir. Ces claires prunelles
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