Page:Bourget - Drames de famille, Plon, 1900.djvu/50

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il se lève, sort de la boutique, prend le trottoir. Je prends le trottoir derrière lui. Il va. Je vais. Nous dépassons la rue des Feuillantines, le Val-de-Grâce, le boulevard de Port-Royal. Il s’arrête enfin, rue du Faubourg-Saint-Jacques, devant la porte d’une de ces maisons à cour intérieure, qui sont de véritables cités de miséreux… Je l’attends… Il ne reparaît pas… »

— « Et alors ? » fis-je, comme il hésitait.

— « Alors, » reprit-il avec le visible embarras d’un homme très scrupuleux, à qui des procédés d’inquisition louche répugnent dans toutes les circonstances, « je suis entré, j’ai avisé le concierge, je l’ai interrogé, et je sais le nom de l’individu. Il loge bien là, et il s’appelle ou se fait appeler Pierre Robert. »

— « Hé bien ! Il faut aller tout de suite à la Préfecture de police, » repris-je, « tu seras renseigné, avec ce nom et cette adresse. »

— « J’y ai pensé, » répondit Eugène, « et puis j’y ai renoncé, en me tenant un raisonnement très simple : mon père a été au ministère de l’Intérieur. Il sait mieux que personne les procédés à prendre pour se défendre contre un maître-chanteur. S’il ne les a pas pris, c’est qu’il a une raison… »

— « Mais quelle raison ? » insistai-je.

— « Ah ! » fit-il avec une émotion grandissante, « est-ce que je sais ?… A force de tourner et de retourner toutes les possibilités dans mon esprit, j’en suis arrivé à m’imaginer que ce garçon était un enfant naturel de ce pauvre père, qu’il l’avait eu avant son mariage, et qu’il le cachait à ma mère…