Page:Bourget - L’Écuyere, 1921.djvu/156

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de ceux-là et des autres ! On se rappelle : lors de sa première sortie après sa blessure, il passait sur cette même place, en se disant gaiement de tout autres paroles : « France ! France ! Charge ! Vieilleville !… », le vieux cri de guerre de cet aïeul sous Metz. Il ne s’agissait plus de ces amours à la hussarde, à présent, menées tambour battant. Il s’agissait de l’amour tout uniment, de cette émotion souveraine qui suspend en nous, durant les secondes où elle nous domine, tous les autres intérêts de la vie. « Celui qui a un cœur, » a dit le plus passionné des poètes, « et, dans ce cœur, un amour, est déjà plus d’à moitié vaincu… » Le fendant et fringant mauvais sujet de cette lointaine promenade ne répétait plus son hardi : « Passe avant, Maligny !… » Ces trois syllabes : « Hilda m’aime… » chantaient dans sa tête comme une musique si douce et si puissante qu’elle étouffait les autres voix. Un flot de félicité intime l’inondait, aussi brûlant, aussi enivrant que celui qui avait soulevé son être, une heure plus tôt, dans cet entretien où Corbin, venu pour l’outrager, lui apprenait son bonheur. Cette fois, — et l’infâme article de journal et Corbin lui-même étaient bien loin, — il entra dans le jardinet, pour s’y asseoir sur un banc, sous les branches, parmi le gazouillis des oiseaux, et là rêver à Hilda ! Cette naïve et sentimentale occupation n’avait plus rien de la scélérate et conquérante allure du début. Qu’eût-il fait d’autre, s’il eût été un simple employé de ministère, épris d’une humble ouvrière, habitué à la rencontrer sur l’Esplanade le matin et le soir, et s’attardant là, pour se souvenir d’elle, dans un décor printanier, à l’abri des grossiers lazzis des camarades de bureau et loin du hideux spectacle des cartons verts ?

— « Hilda m’aime… » se répétait-il donc. Les épisodes de l’excentrique et délicat roman qu’il vivait