Page:Bourget - L’Écuyere, 1921.djvu/172

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dans l’amour absolu. Tout au plus se permit-il, tandis que sa bouche s’appuyait sur ce beau front, de flatter, de sa main libre, la soie douce de ces cheveux d’or… L’un et l’autre, le jeune homme et la jeune fille, étaient si troublés par cette fraternelle caresse, gage enfantin de leurs accordailles : ils en avaient complètement oublié l’endroit où leur conversation avait lieu et qu’ils étaient exposés à ce que l’un des employés de la maison entrât à chaque instant et vînt les surprendre. Aussi éprouvèrent-ils tous deux un saisissement qui les immobilisa de confusion, pendant une minute, à voir, au moment même où Hilda détachait son front du baiser de Jules, une silhouette se dessiner sur la vitre de la fenêtre, et, presque aussitôt, un homme entra dans la pièce. Cet homme n’était autre que John Corbin. — Son long et maigre visage n’était pas moins flegmatique qu’à l’ordinaire mais la teinte violette du bourrelet de sa cicatrice décelait la violente indignation qui le possédait. Pendant combien de temps était-il demeuré là, immobile, derrière le carreau ? Venait-il seulement d’arriver et de voir Hilda abandonnant ses mains et son front à ce perfide rival qui, deux heures plus tôt, s’était engagé, vis-à-vis de lui, sur l’honneur, à respecter et la réputation et le cœur de la jeune fille ? Il s’arrêta une minute à regarder sa cousine, tour à tour, et celui qu’il considérait comme un suborneur. Puis, les enveloppant dans un même méprisant dégoût, à tous deux il adressa cet unique monosyllabe d’insulte :

— « Oh ! shame ! shame ! »[1].

— « Jack ! » s’écria Hilda Campbell qui se redressa, rouge de la honte de cet affront immérité, — rouge aussi de la pudeur d’avoir été surprise ainsi.

  1. « Oh ! honte ! honte ! »