Page:Bourget - L’Écuyere, 1921.djvu/19

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seul Irlandais qui ne valût le voyage. Ajoutons tout de suite, pour donner sa physionomie vraie de loyal gentleman à cet étonnant maquignon aujourd’hui disparu, qu’il n’y avait pas d’exemple qu’il eût enrossé non plus un de ses clients. Il gagnait cinquante pour cent sur ses ventes, c’était son principe ; mais la qualité de la marchandise était garantie. Vous pouviez, si les hasards d’un hiver vous amenaient à passer un temps à Rome et que vous eussiez à chasser à courre dans la campagne qui entoure la Ville Éternelle, — c’est encore aujourd’hui un des modernes paradoxes de la Cosmopolis qu’elle est devenue, — vous pouviez, dis-je, télégraphier à Robert Campbell, 54, rue de Pomereu, Paris, ces simples mots : « Prière expédier aussitôt cheval pour chasser, six ans environ, bon sauteur, pas peureux. » Vous y joigniez l’indication du poids, celle du prix, de la taille, et, la semaine d’après, vous aviez le cheval. Vous pouviez aussi, après avoir donné à la bête les rafraîchissements nécessaires à la suite d’un long voyage, monter dessus sans l’avoir essayée davantage. Campbell faisait, bon an mal an, des centaines d’envois dans ces conditions, sinon à Rome, — car, tout de même, le risque du chemin de fer était bien grand, — dans le Maine, en Touraine, en Sologne, en Poitou, en Barrois, partout où fonctionnaient des « équipages » bien tenus. Il en était à compter les plaintes qu’il avait dû subir. Ainsi s’expliquait qu’ayant commencé par être simple « lad » dans un haras, il avait fini par acheter le terrain de la rue de Pomereu, sur lequel étaient construites ses écuries. Le chiffre de ses affaires annuelles se montait à plusieurs milliers de livres sterling. Il aurait pu, dès cette année 1902, où eut lieu l’aventure que je veux conter, se retirer du commerce et aller habiter un cottage, comme il fait aujourd’hui qu’il est très vieux, dans un bon pays d’élevage. Il a