Aller au contenu

Page:Bourget - L’Écuyere, 1921.djvu/271

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

s’ouvrit pour proférer une injure qui s’arrêta dans sa gorge, devant la mimique menaçante du grand et long insulaire serrant ses poings et prêt à boxer son interlocuteur. La mémoire de la scène qui avait eu lieu, sur le pas de la porte, avec sa patronne, et qui avait failli lui coûter sa place, lui revint à la même minute et acheva de l’assagir. Il grommela, entre ses dents, une grossière épithète, — si indistinctement que Corbin ne put rien entendre, — juste de quoi sauver à ses propres yeux la dignité de son droit méconnu. Il tourna le dos à l’écuyer d’un geste superbe, puis il se mit à dévisager les box où se trouvaient les deux chevaux, choisis l’autre jour par sa maîtresse, et dont il reconnaissait les têtes. Si les innocents animaux avaient pu lire dans son regard, ils en auraient henni d’épouvante. « Vous ne serez pas huit jours chez nous sans boiter, je vous en donne mon billet, vilaines bêtes, » disaient les prunelles du cocher. — Ce n’était pas donne qu’il y avait dans ce regard. — Il méditait déjà de déconsidérer la maison Campbell et de se venger, du même coup, en mettant hors de service, grâce aux procédés classiques de ses congénères, les montures fournies à sa maîtresse par des gens qui le traitaient de la sorte. Mais les « vilaines bêtes » étaient de si remarquables exemplaires de leur race que, malgré ces coupables pensées, le cocher se sentait attiré vers elles par ce sentiment irrésistible de conscience professionnelle, qui l’avait saisi dans cette même cour une première fois ; et, quand Hilda revint tenant sa lettre, il était occupé à leur flatter le chanfrein, tout en continuant de monologuer à part soi :

— « Si ces Campbell n’étaient pas des brigands qui veulent faire du tort aux camarades en prenant tout le profit, ce serait un plaisir de se servir chez eux !… Pour des chevaux, il n’y a pas à dire, c’est des chevaux…