Page:Bourget - L’Écuyere, 1921.djvu/281

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Ces paroles avaient été prononcées assez haut pour que Jules pût distinguer chaque syllabe, s’il avait tendu l’oreille du côté où se tenait sa pauvre fiancée d’un jour, livrée en proie aux brutalités d’une mesquine vengeance. Les mots en étaient bien secs. Le ton était pire. Il signifiait : « Vous n’êtes qu’une salariée, ma petite. C’est moi qui paie et vous allez me servir… » La fière jeune fille, et que ses jolies manières réservées faisaient toujours traiter sur un pied d’égalité, eut un nouveau frisson, mais de révolte. Ses yeux dardèrent, sur l’arrogante richarde, un regard dont l’autre sentit bien le muet reproche. Mais dans quel cœur de femme — et d’homme — la jalousie a-t-elle jamais été une conseillère de pitié ou seulement de justice ? Une vilaine joie d’avoir fait mal à l’une, du moins, de ses deux rivales, poussa Mme Tournade à répéter :

— « Vous m’entendez, mademoiselle ?… »

— « Je suis prête, madame, » répondit Hilda, avec un visible effort. Elle ne voulait pas « accuser le coup, » comme on dit, dans la langue des gens de sport, — olla podrida, faite de mots empruntés à toutes les espèces d’exercices. — Elle interpella Corbin, qui maniait, lui aussi, sa cravache, et combien nerveusement ! Avec quel plaisir il se fût servi de cet instrument de correction, en dépit du célèbre proverbe qu’il ne faut pas frapper une femme, même avec une fleur, pour ajouter une scène à la comédie de son grand compatriote : The Taming of the Shrew[1], — « le Domptement de la Mégère ». — Mais de même que, tout à l’heure, son appel à sa cousine avait rendu à celle-ci le sang-froid perdu, cette phrase de Hilda : « Voulez-vous mettre madame en selle,

  1. Titre de la pièce de Shakespeare, connue en France sous le nom de : la Mégère apprivoisée.