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Page:Bourget - L’Écuyere, 1921.djvu/310

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qu’il en est ainsi, — tout à l’heure, pourquoi vous êtes-vous disputée avec lui ?… »

— « Je ne me suis pas disputée avec lui, » répondit Hilda. « M. de Maligny avait recommandé très gracieusement notre maison à Mme Tournade. Il a été fâché que j’aie amené à cette dame un cheval trop chaud pour elle. Il me l’a dit vivement, parce qu’elle venait elle-même de le lui reprocher vivement, comme s’il en était responsable… Sur le moment, j’ai été, moi aussi, un peu fâchée… J’avais tort et c’était lui qui avait raison. Notre métier est de contenter les clients, et, par conséquent, de leur procurer les chevaux qu’ils demandent, ou bien de les prévenir quand nous ne les avons pas… Il est vrai qu’avec mon cousin et moi cette bête est si sage… Vous allez en juger vous-même. Jack, voulez-vous venir ? »

Elle s’était retournée pour interpeller ainsi l’écuyer qui, en quelques secondes et avec deux foulées de galop, fut auprès de sa cousine.

— « Mlle d’Albiac désire voir de plus près le cheval, Jack, » dit-elle.« Le mieux serait que vous fissiez quelques pas ensemble… »

La volonté exprimée par cette petite phrase était trop formelle pour que Mlle d’Albiac s’y méprît. Hilda désirait que leur explication en demeurât là. Elle mettait, entre elles deux, un témoin, dont la présence rendait toute nouvelle question impossible. La délicate écuyère n’avait plus affaire à une Mme Tournade, à une parvenue, d’une sensibilité aussi pauvre que l’étoffe de ses robes était riche. Le cœur de Louise était vraiment celui d’une demoiselle, comme nos pères disaient si joliment encore, il y a cent cinquante ans[1]. Pour rien au monde, elle n’aurait

  1. « Je puis vous assurer que, par son bon esprit, par les qualités de l’âme et par la noblesse des procédés, elle est demoiselle autant qu’aucune fille, de quelque rang qu’elle soit, puisse être. » (Marivaux, Marianne, 7e partie.)