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Page:Bourget - L’Écuyere, 1921.djvu/317

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qu’elle venait, elle, de parler comme elle avait fait à Louise d’Albiac, — cette preuve nouvelle et si simplement indiscutable de son manque absolu de pitié vis-à-vis d’elle l’accablait, la terrassait, la brisait… Et puis, une jalousie plus forte que sa générosité grandissait en elle. « Peut-être vous a-t-on dit que je voulais l’épouser… Si cela me convenait, j’entends le faire… » Ces mots prononcés par cette même bouche qui lui avait dit : « Je vous aime, » lui avaient fait trop de chagrin à entendre. De voir Louise auprès de lui, souriante, attendrie, quel supplice ! Ce sourire, cet attendrissement, c’était son œuvre, et elle ne pouvait pas supporter cela. Elle allait, emportée par la machinale allure de son cheval, la gorge serrée, le cœur serré, le cerveau serré, comme nouée, comme étouffée par ce chagrin qu’elle ne discutait plus, qu’elle ne formulait plus, qu’elle ne comprenait même plus. Elle avait mal, mal ! Et elle allait… Elle ne voulait rien, non plus. Pas un instant, l’idée d’une vengeance possible n’effleura seulement son esprit. L’occasion lui en eût-elle été offerte qu’elle aurait refait aussitôt son geste magnanime de tout à l’heure. Elle eût donné Jules à Louise, pour qu’il fût heureux d’un noble bonheur. Même dans cette crise de suprême désespoir, elle ne regrettait pas d’avoir été généreuse. Seulement, elle ne pouvait se retenir de prononcer tout bas cet « à quoi bon ? » des immolations inutiles. Elle venait de découvrir dans le caractère de Maligny des côtés si imprévus pour elle, si douloureusement inattendus, qu’elle ne voyait plus les autres. Il lui apparaissait comme un personnage par trop différent de celui qu’elle avait tant chéri. C’était un déplacement subit et total du plan de sa pensée, qui lui donnait l’impression d’une sorte de vertige. Elle méprisait cet homme à jamais, maintenant, et elle continuait d’en être si passionnément