Page:Bourget - L’Écuyere, 1921.djvu/65

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tarde pas à l’être dans beaucoup d’autres. Autant dire qu’il finit par fréquenter des sociétés très mélangées. Des petits bals blancs donnés dans les solennelles nécropoles de la rue de Varenne et de la rue Saint-Guillaume, Jules avait passé, presque insensiblement, aux fêtes somptueuses auxquelles excellent les membres du Faubourg qui ont franchi la Seine et ont hôtel de l’autre côté de l’eau. La colonie étrangère l’avait ensuite accueilli. Les camarades qu’il avait su se faire dans ces milieux plutôt corrects l’avaient entraîné dans d’autres, qui l’étaient moins ou qui ne l’étaient pas du tout. À ceux-ci comme à ceux-là, il s’était prêté avec cet étrange pouvoir d’adaptation, — le charme et le danger de l’âme polonaise ou russe. On dit volontiers, de ces séduisants et décevants Protées, qu’ils sont des comédiens. Il faudrait ajouter : de bonne foi, et un comédien de bonne foi est-il un fourbe ? Il ne vous trompe pas en pensant comme vous aujourd’hui et le contraire demain. Il a des sincérités successives. À trente-cinq ans, il rendra compte des sautes subites de ses impressions : il en jouera et il vous jouera. À vingt-cinq, l’enivrement de la vie est trop fort pour permettre ces calculs. Jules de Maligny, — pour prendre comme exemple ce rejeton, transplanté en France par les caprices de l’atavisme, des Lodzia de Lublin et des Gorka de Cracovie, — Jules de Maligny donc, n’avait jamais fait la connaissance d’un ami nouveau sans être persuadé qu’il avait rencontré le compagnon unique, le frère d’élection avec lequel réaliser les mythes immortels d’Achille et de Patrocle, de Nisus et d’Euryale ! Le lendemain, il soupait à côté d’un autre, qui lui faisait oublier le premier. Il n’avait jamais courtisé une femme sans croire qu’il était dans la Grande Passion — avec deux majuscules — et que son goût d’une semaine, quelquefois, d’une