Page:Bourget - L’Écuyere, 1921.djvu/98

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

entre les barreaux dévernis des râteliers. Les rats trottinaient à la recherche d’un peu d’avoine tombée, sur le bétonnage fendillé du sol. Ces traces de décadence n’empêchaient pas Galopin, l’hôte solitaire de cette maison de chevaux, de s’ébrouer gaiement dans le box qu’il se trouvait occuper tout naturellement, faute de rivaux. Le portier, jadis l’ordonnance d’un des oncles de Jules, était, par hasard, un bon palefrenier. Il savait qu’il ne faut pas laisser les bêtes de selle dans des atmosphères obscures, afin qu’elles ne deviennent pas ombrageuses. La plupart du temps, l’écurie restait ouverte, et l’on pouvait voir l’animal regarder, de ses grands yeux, le tableau peu varié de cette cour : — Mme de Maligny passant, dans sa toilette noire, — un fournisseur arrivant avec un paquet, — quelques visiteurs, toujours les mêmes, entrant et sortant à pas comptés, — ledit portier arrosant des fleurs disposées sur une des marches du perron, — et le maître de l’aimable animal manquait rarement de venir le flatter d’une caresse, quand il l’apercevait ainsi qui guettait la libre vie du fond de sa tiède prison. Si la pensée d’un « sans-raison »[1] est capable d’une surprise, cet alogos-ci dut se demander indéfiniment quel mystérieux lien rattachait les uns aux autres ces faits, en apparence si dissemblables : son abandon, au milieu d’une allée, huit jours auparavant, tandis que son cavalier se colletait avec un individu en haillons ; — la disparition du jeune homme pendant toute cette semaine, où, lui, Galopin, avait été promené à la main, sous ses couvertures, d’une extrémité à l’autre de la rue de Monsieur ; — puis, cette sortie, ce matin, ce furieux

  1. On a déjà rappelé, au chapitre II de ce récit, que c’est là le nom (alogos) donné irrévérencieusement, par les Grecs modernes, aux chevaux.