Page:Bourget - La Terre promise, Lemerre.djvu/102

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que cela fait mal de n’être pas sûr du sang qui coule dans les veines d’une pauvre petite créature dont on se dit : — « Si pourtant c’était bien mon sang à moi ! Si j’étais responsable de sa vie !… » Et il faut ajouter tout de suite : — « Je ne le saurai jamais, jamais… Elle-même n’est pas sûre du père de cette enfant !… » Quelles sources d’intarissables tristesses une trahison de femme ouvre autour d’elle ! Qu’il est cruel d’être paralysé par cette idée de mensonge jusque dans ses meilleurs élans ! Francis, qui n’avait plus un seul parent rapproché depuis la mort de sa sœur, se fût dévoué à cette petite fille avec délices, s’il eût cru en la mère. Au lieu de cela, il éprouvait une appréhension presque mortelle, une horreur d’agonie à penser que telle ou telle circonstance pouvait le mettre en face de ce mystère vivant qui renouvellerait ses plus douloureuses crises par sa seule présence, et il s’était arrangé pour ne même pas savoir si cette enfant vivait encore. Cette épreuve de se trouver face à face avec elle ou avec la mère lui avait été épargnée, et du moins ce funeste état d’anxiété intérieure avait eu cet avantage de le prémunir contre les entraînements habituels à son âge et à sa fortune. Comme tous ceux qui gardent en eux la brûlure cuisante d’une passion malheureuse, il avait pu se livrer de nouveau à l’étourdissement du libertinage : il eût été incapable d’une autre liaison sérieuse